Bien privé, bien commun et valeurs partagées – L’exemple de la haute vallée de Yellowstone aux Etats Unis

La gestion des populations de grands ongulés sauvages à l’échelle des territoires : bien privé, bien commun et valeurs partagées. L’exemple de la haute vallée de Yellowstone aux Etats Unis

Lecture de l’article : Out of administrative control : Absentee owners, resident elk and the shifting nature of wildlife management in southwestern Montana. Hobson Haggerty J. and Travis WR. Geoforum 37 (2006) pp 816-830.

 

La Vallée de la Yellowstone est située au nord-ouest des Etats Unis ; elle est célèbre dans le monde entier pour son parc national créé en 1872, soit le plus ancien parc national du monde. Ce parc abrite de nombreux grands mammifères comme des ours noirs, des grizzlys, des coyotes, des loups, des élans (orignaux), des cerfs ou encore des troupeaux sauvages de bisons et de wapitis. Ces populations d’animaux sauvages, et les cerfs notamment, dépendent en fait pour partie non seulement de l’espace protégé que représente le Parc mais aussi des espaces périphériques qui sont non-protégés et donc ouverts à la chasse. Ces espaces périphériques, régulièrement parcourus par les cerfs, sont détenus par la puissance publique (forêts notamment) mais aussi par des propriétaires privés. Ainsi sur les Districts de chasse 313 et 314 (correspondant à la haute vallée de la Yellowstone) 71% et 46% de l’habitat d’hiver de ces cerfs est situé sur des propriétés privées.

Depuis 1960, les autorités publiques en charge de la gestion des populations d’animaux sauvages semblent avoir ‘perdu le contrôle’ de la situation et ce pour deux raisons majeures :

  • L’augmentation importante des populations de cerf en lien avec la politique de protection à l’intérieur du Parc
  • Les nombreux changements de propriétaires, induisant notamment des changements de valeurs et des changements de pratiques sur les surfaces gérées en propriété privée.

 

En effet, avant 1960, la gestion des populations de cerf reposait sur un consensus entre les autorités publiques en charge de la gestion de la faune sauvage, les gestionnaires des espaces publics, les propriétaires privés et les chasseurs. Ce consensus autour de ‘valeurs écologiques communes’ rendait possible par exemple le libre accès aux propriétés privées pour les chasseurs, et la réalisation des objectifs de plans de chasse fixés par les autorités publiques, dans le cadre d’une situation ‘gagnant-gagnant’.

 

Depuis 1960, ce consensus autour de valeurs communes a été érodé en premier lieu par l’augmentation des populations de cerfs, qui ont de ce fait augmenté leur pression sur les espaces privés et compromis la production agricole en concurrençant le bétail domestique. De plus des mésententes sont survenues entre propriétaires-agriculteurs d’une part et chasseurs d’autre part, compromettant le libre-accès des chasseurs aux propriétés privées, ce qui a eu pour résultat de favoriser l’augmentation des populations des cerfs ainsi que la pression écologique exercée par ces animaux sur les propriétés privées. Enfin, l’exode rural et les changements ‘de fond’ dans la société ont induit un remplacement progressif des propriétaires-agriculteurs par des propriétaires-résidents secondaires. Ces nouveaux propriétaires diffèrent des anciens en ce qu’ils envisagent leur propriété non plus comme un espace productif mais comme un espace de loisir. De ce fait, leur façon d’envisager la gestion de la faune sauvage diffère drastiquement de celle des propriétaires-agriculteurs : qu’ils envisagent leur propriété comme un lieu dédié à la chasse ou comme un espace de loisir et de repos au cœur de la nature, la pression écologique exercée par les animaux sauvages sur leur propriété n’entre en tout état de cause pas en concurrence avec leurs attentes personnelles. Il découle de cela, entre autres, que les nouveaux propriétaires résidents-secondaires sont plus enclins à envisager l’accès à leur propriété comme un droit exclusif, au contraire de la vision qui avait cours précédemment chez les propriétaires-agriculteurs (cette tolérance était en effet liée au fait qu’il était dans l’intérêt des agriculteurs d’autoriser le libre accès aux chasseurs, afin de réguler les populations d’animaux sur leurs propriétés). Les auteurs estiment que la surface détenue par des propriétaires privés et accessible au public est passée de 63% en 1979 à 49% en 2003. Les auteurs concluent que ces deux facteurs majeurs (1) l'augmentation des populations d’animaux, (2) l'érosion du consensus autour de la gestion des populations d'animaux sauvages expliquent la situation critique observée dans la haute vallée de la Yellowstone, où les populations de cerfs seraient ‘hors de contrôle’.

 

Marie Baltzinger

 

Les lecteurs intéressés peuvent consulter l’article original en suivant ce lien :

http://sciencepolicy.colorado.edu/admin/publication_files/resource-2662-2006.23.pdf

 

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